mardi 27 décembre 2016

LA MAISON PRADIER AU HAMEAU DE BORIAN

Maison Pradier au Borian



Qui n'a pas eu ces sentiments de malaise et d'interrogations quand, au détour d'un sentier, au coin d'une rue ou perdu dans les bois, nous tombons sur les vestiges d'une ancienne demeure ? Les ruines sont comme un cimetière d'émotions disparues à jamais. On y devine les rires des enfants de jadis, la souffrance de vieillards esseulés. On imagine ces jeunes couples affrontant la dureté d'une vie de labeur, donnant vie entre ces pierres aujourd'hui disloquées. Les ruines sont le reflet de la condition humaine, hier magnifiques et chéries, demain oubliées et meurtries.

  
Ce sont les sentiments que l'on ressent quand, à Aiguèze, nous traversons l'ancien hameau du Borian. Malgré une journée radieuse d’été nous conduisant en bordure d’Ardèche, la traversée obligatoire de ces ruines nous interpellent à chaque fois. Qui a vécu ici ? comment vivaient-ils et de quoi ? pourquoi cet abandon général ? Autant d’interrogations qui resteraient sans réponses si les archives communales n’étaient pas là pour nous éclairer !

  
Aujourd’hui nous allons découvrir la maison Pradier, cette maison se trouve le long du sentier conduisant au lieu-dit le Lavoir, elle est la dernière sur la droite, sur le mur de laquelle fut apposé par la mairie un panneau de mise en garde. De cette maison il ne demeure encore debout qu’un pan de mur au rez-de-chaussée ainsi que quelques portions de voûtes au sous-sol. Il est aisé de prévoir que sous peu il ne restera de cette bâtisse qu’un tas de pierres que coloniseront ronces et figuiers.

  

"Entrée principale de la maison Pradier"



Grâce aux documents d’archives nous pouvons retracer son historique depuis la moitié du 16ème siècle jusqu’à aujourd’hui. Quant aux familles qui l’ont occupée, on peut en suivre le cheminement avec exactitude dès la fin du 17ème siècle et jusqu’à son abandon au milieu du 19ème.

  
Mais tout d’abord il faut préciser la raison de l’implantation de ce hameau, hameau se trouvant en bordure d’Ardèche et hors des remparts protecteurs du village d’Aiguèze. Durant de nombreux siècles un bon nombre de familles aiguezoises vivait en grande partie grâce aux revenus que procuraient la pêche et la batellerie. Les différents droits de pêche affermés par les seigneurs locaux et les nombreux baux de transport par bateaux permettaient à ces familles de vivre avec une certaine aisance. Cette vie au bord de l'eau déclina tout au long du 19ème siècle, les nombreux arrêtés régissant la pêche, les transports par voie terrestre devenus plus aisés, eurent raison des derniers irréductibles habitants du Borian.

  
Historique du bâti : Le plus ancien document citant cette maison est le compoix de 1545, elle appartient alors à Jaume Senno et est ainsi désignée  : «  Item une maison et cour a Borrian confronte du levant en ardèche, du couchant au chemin, de l'auré aux patis, du marin au casau de Frances Chabot, contient de maison 7 cannes et mièje et de cour 16 cannes  »

  
A cette époque on note une forte concentration du bâti, pas moins d'une trentaine de maisons peuvent être dénombrées. Une partie de celles-ci sont désignées comme étant en ruines, on devine un premier déclin au début de ce siècle, de nombreux propriétaires ont déjà quitté le Borian pour s'installer à St Martin.

  
Deux siècles plus tard la maison qui nous intéresse est la propriété de Pierre Suau, fils de Jean, elle est ainsi désignée sur le compoix de 1734  :
  
«  Premièrement une maison à Borian, confronte du levant maison et court de Pierre Mercier en partie passage au milieu, du couchant la rue, de bise chazal de Joseph Brun et chazal de Louise Fouguette de Barjac, du marin maison de Louis Suau passage au milieu, contenant en couvert treize cannes et en cours deux, présage un sol deux deniers  »

  
Peu de temps après, les hoirs de Pierre Suau vendent la maison à Firmin Brun. Firmin est bien sur pêcheur et travaille également quelques petits coins de terres non loin de là. Le 6 février 1767 il marie sa fille à Jean Pradier, c'est ainsi qu'on trouve celui-ci chargé de ce bien, dont il avait hérité par sa femme, sur la livrette de 1770. Cette famille Pradier fut la dernière à habiter la demeure au bord de l'eau, nous nous y intéresserons donc d'un peu plus près...

  
Le bâti : C'était une demeure composée de trois niveaux, sur le même modèle que les constructions que l'on trouve couramment dans la partie ancienne du village. Le rez de chaussée est voûté et le premier étage couvert par un plancher aujourd'hui disparu. Du côté du couchant, la déclinaison naturelle du terrain mettait une partie du rez de chaussée en sous-sol. Ces deux niveaux étaient accessible uniquement par l'extérieur, l'entrée principale est toujours visible et donne directement sur la rue publique. A gauche de l'entrée se trouvait encore, il y a peu, une cuve de pierre «  à tenir l'huile  » , cette cuve que l'on nommait anciennement « tine  » est aujourd'hui scellée au bas des escaliers qui donnent accès au Borian. A droite de l'emplacement où se trouvait cette cuve, on aperçoit encore l'ancien garde-manger, celui-ci est implanté dans l'épaisseur du mur et l'on devine l'emplacement des anciennes étagères en bois.

  
Les différences de superficies que l'on note au fil des siècles, proviennent moins d'aménagements successifs que de la multitude de partages, héritages ou mariages que l'on devine durant la longue histoire de cette possession. Au 18ème siècle, la bâtisse est imposée pour environ 50m² en couvert (au sol). Cela peut paraître peu au regard de nos habitations actuelles, mais, pour l'époque, cette superficie est même supérieure à la moyenne... La cuisine était la pièce principale, les inventaires que l'on trouve sous l'ancien régime et qui décrivent avec exactitude tous les ustensiles qui la composent, nous indiquent qu  'elle était bien souvent utilisée comme chambre à coucher. C'est dans la cuisine que se trouvait la cheminée, le maigre feu qui le soir éclairait la pièce servait plus à préparer le repas qu'à réchauffer l'atmosphère. Le bois de chauffage était un luxe et les fagots ramassés étaient le plus souvent vendus pour arrondir les fins de mois.

  
La famille Pradier du mas de Sauze  : On rencontre ce patronyme à Sauze (hameau de St Martin) à la fin du 16ème siècle, il est absent avant cette date sur la paroisse d'Aiguèze (on ne dit pas encore commune). Le plus ancien membre connu de cette famille est Jehan Pradier, on le trouve se mariant en 1572. C'est de ce Jehan que descend directement, deux siècles plus tard, notre Jean qui nous intéresse ici... Nous ne nous attarderons pas sur cette filiation, qui demanderait à elle seule un article à part, pour nous étendre plus en long sur les derniers membres de cette famille.

  
C'est donc durant la seconde moitié du 18ème siècle que Firmin Brun, ayant deux filles à marier, pris pour gendres Jean et François Pradier de Sauze. François, malgré trois unions n'eut aucune descendance. Jean, son frère, qui connaissait bien les métiers de pêcheur et de batelier pour les avoir pratiqués depuis longtemps, vint tout naturellement s'installer de l'autre côté de la rivière pour reprendre les rennes de la petite entreprise familiale.

  
Jean Pradier et Marie Brun, son épouse, donnèrent naissance à quatre enfants dans cette demeure du Borian : Trois filles et un garçon. Ces naissances s'étalent entre 1769 et 1780. Deux des filles quittèrent ce petit hameau mal commode, lors de leur mariage, pour s'installer dans la cité sus-jacente. Le plus jeune des enfants se prénommait également Jean, du prénom de son grand-père, qui, comme de coutume, était également son parrain.

  
Ce dernier Jean, naquit au Borian le 24 mai 1772 et fut baptisé le lendemain en l'église de St Martin. Les habitants du Borian avaient en effet l'obligation de célébrer tous les grands événements religieux en l'église de St Martin comme appartenant à cette paroisse. On imagine tous ces enfants en très bas âges, chargés dans quelques barques et traversant en toutes saisons les eaux parfois glacées, sous une bise du diable !

  
Jean avait pour surnom «  Jeannot  », le surnom étant bien souvent noté sur les documents officiels car permettant de différencier plusieurs membres d'une même famille. Grâce à son ordre de réquisition du 19 pluviose an 4 on peut connaître sa morphologie  : «  Taille 5 pieds, cheveux et sourcils châtain tirant sur le noir, yeux gris, nez un peu gros, bouche moyenne, menton et visage rond  ». En 1802 on trouve Jeannot se mariant avec Rose Rouvier, le couple s'installa tout naturellement dans la maison du Borian. Une nouvelle fois, car l'histoire n'est qu'un perpétuel recommencement, de nouveaux enfants allèrent voir le jour dans cette maison au bord de l'eau. Neuf naissances auront lieu entre 1802 et 1816, dont quatre décéderont en bas âge... La mort étant à cette époque un événement omniprésent  ! Jeannot décèda à son tour en 1848, veuf depuis huit années.

  
L'aîné de cette famille se prénommait, comme il se devait, Jean  ! (sixième du nom...) Il fera partie des derniers habitants du Borian, y étant né en 1802, il y décèdera en 1860. Toutefois, la dernière naissance de la famille Pradier au Borian est enregistrée le 16 mars 1878. Il s'agit de Rosine-Euphrosine, qui épousera en 1899 Marius Dumas...


Peu après cette date les Pradier quitteront le Borian, les filles par mariage, les garçons par des occupations plus valorisantes que la pêche. Le hameau abandonné tombera en ruines au fil des ans. Les propriétaires viendront ici récupérer tuiles, poutres et planches. Les tines, trop lourdes, garderont seules les murs à présent dénudés, murs qui petit à petit disparaîtront, emportant les rires et les pleurs qui les ont si longtemps habité...

  
 "La tine de Jean Pradier"




Lou Récataïre 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire