mardi 21 juin 2016

1382 : LES TUCHINS S'EMPARENT DE LA FORTERESSE AIGUEZOISE A COUPS DE CANONS ... DU BON MUSCADET AIGUEZOIS!

LE TEMPS DES JACQUERIES (d'après les travaux de Paul-Jean ROUX Diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Montpellier).

A partir de 1360 les campagnes s’agitent à cause du poids des impôts : notamment la Gabelle (impôt sur le sel) de la présence des Anglais, ils se soulèvent contre le roi de France et les seigneurs.
Le roi de France vendit, vers 1374, la juridiction et le château d’Aiguèze à Pons de Biordon, visiteur général des gabelles de l’entrepôt du sel de Pont-Saint-Esprit . C’était un homme fort riche, anobli de fraîche date , fort impopulaire dans la région.

« Un matin du printemps 1382, l’émeute éclate au Pont St Esprit, les paysans venus se ravitailler en sel, assaillent le grenier, brisent les mesures, font main basse sur la marchandise » PONS DE BIORDON, visiteur général des gabelles à Pont St Esprit est aussi co-seigneur d’Aiguèze.
Pons de Biordon dût s’enfuir de Pont-Saint-Esprit. Son beau château d’Aiguèze, qui passait pour imprenable, fut livré aux Tuchins par Etienne Astier, qui en avait la garde, « dans la fête de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie, en septembre 1382 » .



Les Tuchins convoitaient cette forteresse pour les réserves de blé, de vin et d’armes qu’elle contenait. Quand ils arrivèrent devant le pont-levis, les quelques gardes qui formaient la garnison étaient tranquillement assis en train de jouer aux tables, avec plusieurs outres de vin (« boutos ») le fameux "muscadet", à leurs côtés. Ils ne résistèrent pas aux nouveaux venus et ils burent tous ensemble de nombreux verres de vin pur .

Les Tuchins firent du « castrum de Ayguedinis » leur place-forte et le quartier général de leurs troupes dans le diocèse d’Uzès. Ils y logeaient au nombre de neuf cents (« nonies cantum »). Ils en restèrent les maîtres pendant plus de quatorze mois. A plusieurs reprises le Pouvoir essaya de parlementer avec eux pour leur faire évacuer cette redoutable forteresse. Ce fut toujours en vain. Au contraire, ils s’emparèrent de plusieurs châteaux du pays dans le courant de l’année 1383. Ils restèrent 14 mois à Aiguèze, à boire, jouer, voler.

Cette situation inquiète et effraye les habitants .
Les nobles de la région se groupèrent alors pour lutter contre les révoltés. Leurs gens d’armes cantonnés à Pont-Saint-Esprit marchaient sous les ordres d’un certain Seigneur Gaudonnet , chevalier, lieutenant du vicomte de Beaufort Turenne, comte d’Alès, baron de Bagnols et de l’évêque d’Agen.

Les hommes de Gaudonnet vinrent de Pont-Saint-Esprit commencer le siège du castrum d’Ayguedinis en décembre 1383. Malgré la résistance des Tuchins, ils s’emparèrent de la formidable forteresse grâce à leur matériel de siège. Quoique les documents soient très laconiques sur cet événement, il est raisonnable de supposer que malgré leurs efforts désespérés, les Tuchins furent forcés dans leur refuge suprême et impitoyablement massacrés après torture, avec un grand nombre d’habitants de la petite ville d’Aiguèze, selon la méthode employée non loin de là par le Seigneur Gaudonnet.

Leurs représailles féroces et leurs exploits terrifiants semèrent l’effroi dans toute la contrée.
La répression fut terrible : les Tuchins furent chassés et massacrès.
Les cultivateurs n’osaient plus se rendre à leurs champs et de ce fait, les vignes, qui n’étaient plus entretenues et qui étaient déjà dans le pays une des principales cultures, ne purent être taillées de deux ans et les terres tombèrent en friches .

PONS DE BIORDON intenta un procès à tous ceux qu’il accusait d’avoir favorisé directement ou indirectement le Tuchinat.

A partir de ce moment-là, on ne vit plus un Tuchin dans Aiguèze et ses environs, systématiquement ravagés et pillés. Et pour éviter le retour possible d’évènements semblables, les Puissances firent démanteler et réduire à l ‘état de ruines le castel dévasté et incendié lors du siège de 1383. Seules quelques salles et une tour furent conservées pour le presbytère avec les restes de la porte d'entrée (le Portail) qui devint la Maison Commune.

La ruine de son château et la misère générale eurent une répercussion funeste sur les destinées de la petite ville d’Aiguèze. Elle ne se releva jamais de cette crise, tombant brusquement au rang d’un petit village. Le dénombrement de 1384 donne 9 feux pour Aiguèze . Les habitants d’Aiguèze virent leurs impôts augmenter pour reconstruire le village.

Sur le site "Au miroir du Tuchinat Relations sociales et réseaux de solidarité dans les communautés languedociennes à la fin du XIVe siècle" de Vincent Challet, on trouve ce passage qui fait référence à notre village :


"Les modalités selon lesquelles s’exerce le partage du butin révèlent également la solidarité et l’égalité des compagnons entre eux puisque chaque individu ayant participé à une opération donnée reçoit une quantité égale, à l’exception des capitaines qui se voient attribuer une part double. Ce procédé est notamment utilisé en ce qui concerne la répartition du blé trouvé dans le château d’Aiguèze, lorsqu’en septembre 1382 cette puissante forteresse qui domine les bords de l’Ardèche tombe entre les mains des Tuchins. Après un recensement préalable des combattants et des quantités de céréales saisies, les capitaines désignèrent un Tuchin qui savait lire et écrire pour faire la distribution et inscrire sur une liste au fur et à mesure les noms des hommes qui avaient déjà touché leur part. Chaque compagnon qui avait participé à l’assaut d’Aiguèze eut droit à trois salmées de blé tandis que les quatre capitaines et le bayle de Pons Biordon qui avait trahi son seigneur et livré le château aux révoltés se virent attribuer six salmées de ce même blé."

Des documents sur le site : http://www.persee.fr/doc/medi_0751-2708_1998_num_17_34_1418




1767 UNE DERNIERE VOLONTE PAS ORDINAIRE...PAR LE RECATAIRE


1767


Une dernière volonté pas ordinaire...

 Au hasard des recherches dans les fonds notariés anciens, il arrive que l'on tombe sur des actes peu communs. Celui que nous allons découvrir fait partie de cette catégorie et concerne bien entendu directement notre ancienne communauté d'Aiguèze.

 Avant la révolution, et de toute ancienneté, notre paroisse possédait un prieur. Les prieurs faisant partie des personnalités les plus en vue, instruits, ils aidaient bien souvent à la gestion des affaires communes. Leur présence était maintes fois souhaitée pour mener à bien tel ou tel procès ou faire autorité dans les nombreux litiges de la vie courante. Ils étaient généralement originaires de la petite bourgeoisie, pas forcément locale, et de ce fait assez aisés. Ils étaient les bénéficiaires de la dîme, impôt prélevé en nature au moment des récoltes, ce qui leur valut une animosité féroce au moment de la révolution... Mais les prieurs n'étaient pas des personnes détestables, bien au contraire, ils étaient souvent aimés et respectés au sein de notre communauté. Ils vouaient, comme en témoignent de nombreux documents, une grande amitié, parfois teintée de paternalisme, envers les âmes dont ils avaient la charge.

 En 1746 Véran-Simon Reyre, originaire semble-t-il de Caderousse, fut pourvu du bénéfice de la paroisse d'Aiguèze en remplacement de Joseph Barbeyrac. Il fut prieur d'Aiguèze jusqu'en 1772. On le trouve, bien entendu, cité dans de nombreux documents. Il tient également, comme il se doit, les registres paroissiaux grâce auxquels on peut reconstituer les familles d'alors.

 En 1767, voyant sa santé chancelante, il décide alors de passer devant le notaire de St Julien de Peyrolas pour lui dicter ses dernières volontés. Ce dernier se rendit donc au presbytère d'Aiguèze le 19 décembre de cette année là, accompagné de six aiguezois faisant office de témoins. Devant tout ce beau monde notre prieur dicta un des plus long testament qu'il m'ait été donné de rencontrer durant mes recherches: seize pages de volontés, lesquelles sont d'un grand intérêt pour l'étude des mœurs d'alors.

 Voulant montrer son profond attachement à notre petit village, Véran-Simon Reyre légua toute sa fortune afin d'établir une école de jeunes filles à Aiguèze. Mais laissons ici la place à ses volontés telles qu'ils les a dictées...

 En premier lieu le testateur charge sa sœur, habitant Caderousse, de donner annuellement et perpétuellement la quantité d'une salmée de blé, moitié seigle et moitié touselle, qui sera convertie en pains et distribuée aux douze plus pauvres familles d'Aiguèze. Cette distribution se fera par portions égales sans distinction ou préférence.

 Suit, textuellement: " Et ledit testateur voulant des marques de sa bienveillance et de son attachement à la communauté d'Ayguèze par l'endroit qu'il croit le plus nécessaire car elle se trouve pauvre et hors d'état de remplir l'objet qu'il a eu de tout temps, a institué en tous ses biens une école de charité qui sera établie à perpétuité au dit lieu, laquelle école aura pour objet l'éducation gratuite des filles originaires d'Ayguèze, et de celles de Laval St Roman dont les familles sont sujettes à la même dismerie et tailhabilité "

 Un peu plus loin suivent les clauses, certaines font sourire aujourd'hui, mais montrent bien la rigueur qui était de mise à cette époque.

" Pour remplir la fonction et charge de la dite école et tirer les rentes et revenus, il sera choisi une fille, de la capacité, intégrité, sagesse, piété et vertu convenable, elle ne pourra être destituée que dans le cas où elle s'écartera de la conduite et devoirs prescrits, et si elle devient infirme on pourra lui donner une aide de la même qualité et mêmes talents et vertus"
  
" La fille exerçant l'école sera tenue de s'habiller d'une manière modeste et simple, convenable à l'état d'humilité qu'elle embrasse et ne pourra porter que des robes noires en laine toutes saisons.

Elle fera l'école deux fois le jour, ne pouvant donner qu'un seul jour de vacance par semaine fixé au jeudi, à l'exception du temps des vers à soie où elles pourront prendre trois semaines de vacances..."
  
"L'école s'ouvrira par la prière du matin et finira chaque soir par la prière du soir qui sera suivie d'un déprofondi que les écolières diront avec la maîtresse pour le repos de l'âme du donateur..."

 "La dite maîtresse enseignera de son mieux à lire en français et en latin et à écrire, leur apprendra à coudre comme ont besoin les gens de la campagne, les instruira du respect et soumission qu'elles doivent à leurs pères et mères, de la charité qu'elles doivent à leurs inférieurs..."
  
"Il est expressément prohibé à la maîtresse de recevoir, loger et donner à manger dans la maison à aucun homme, religieux ou séculier, de quelques conditions qu'il puisse être et d'y souffrir aucune danse, même entres filles, sous peine d'être destituée sans que cette peine ne puisse être changée..."
  
"Ladite maîtresse et ses succédantes à perpétuité seront obligées de tenir une conduite exempte de tout reproches et en cas qu'elles commettraient quelques fautes notables et scandaleuses elles seront destituées sans forme ni figure de procès..."
  
"Il sera fait tous les ans par le prieur en place accompagné des consuls une vérification exacte des meubles et effets pour voir s'ils sont en bon état et du même nombre et même qualité..."
  
" Ledit Sieur fondateur exhorte la dite maîtresse d'attirer les écolières et autres filles du lieu dans la dite maison les jours de fête et les dimanches et les sortir par là de la compagnie mondaine..."
  
"Et afin de commencer son projet il a choisi pour exercer la fonction de maîtresse Delle Thérèse Ramière, fille de Sieur Guillaume, en laquelle il connait la capacité, vertu, piété et autres qualités et talents convenables..."

 On en restera sur les clauses les plus remarquables, l'acte s'étalant sur d'autres facettes plus juridiques qui vous seront épargnées...

Un petit mot au sujet de Thérèse Ramière, la première institutrice choisie. Celle-ci naquit en 1740 dans notre petit village, et semble avoir été extrêmement appréciée par tous les aiguezois. Décédée très jeune en 1769, le prieur note sur son registre que son inhumation se fit " En présence de toute la paroisse qui fondait en larmes d'avoir perdu un si bon sujet, qui éduquait les filles de la paroisse avec beaucoup de succès "
  
Voilà pour la petite histoire locale, pour ces moments qui se perdent très vite dans le tourbillon de la vie mais qu'il est parfois plaisant de se souvenir...

 Lou Recataïre




 "Le 10 avril 1769 sépulture de Delle Thérèse Ramière"