mardi 10 janvier 2017

1560 QUAND UN VOLQUE ÉPOUSAIT UNE HELVIENNE (par Lou RECATAIRE)

Évidemment le titre se veut un peu racoleur, au 16ème siècle il y a belle lurette que les Volques Arécomiques ne faisaient plus rire personne et que les Helviennes n'attiraient plus foule au forum d'Alba. Néanmoins les limites territoriales sont respectées et il n'était pas fréquent qu'Aiguezois prenne épouse en l'évêché de Viviers. Il faut dire qu'entre les deux, l'Ardèche était un obstacle qu'il coûtait de traverser. Les passeurs de St Martin et du Bordelet veillaient au grain et les eaux souvent glaciales avaient de quoi refroidir les ardeurs de jeunes gens en quête de sentiments.

Nous allons découvrir ici un Aiguezois qui ne devait pas plaindre la pièce au passeur, ou qui, peut-être, fut un excellent nageur...



Jehan Cabassut, puisque c'est de lui dont il s'agit, naquit à Aiguèze vers 1530. Les documents taisent le nom des parents, mais, vu qu'il n'y avait à cette époque qu'une seule famille porteuse du nom, il est aisé de le rattacher à Pons Cabassut. Celui-ci, né vers 1500, figure en bonne place sur le compoix de 1545 et résidait dans la Grand-Rue. C'était une famille assez aisée au vu de la tenure dont elle était chargée. Plusieurs vignes et terres à semer situées à la Boucouse, la Rouvière et croix de Trescouvieux composent le domaine.



Travailler la terre était une bonne chose pour nourrir la maisonnée, mais bien marier ses enfants était une nécessité pour que perdure l'affaire. Ainsi, arrivé à l'âge de reprendre les rennes de la propriété, il fut cherché une épouse au jeune Jehan. Trouver un bon parti était presque une loi naturelle, mais cette époque imposait d'épouser gens de son rang. Il existait tout un réseau de personnes très au courant des jeunes gens à marier. Les prêtres, les marchands, tous ceux qui allaient et venaient à travers le territoire étaient très au fait de la chose... C'est ainsi que fut présenté à Jehan l'idée de prendre femme en la paroisse de Gras. Celle-ci ayant le bon âge, la bonne dot devait forcement lui convenir !



Gras est aujourd'hui une petite commune située dans le département de l'Ardèche. Elle n'est séparée d'Aiguèze, à vol d'oiseau, que d'une quinzaine de kilomètres. Malheureusement, sans les plumes, c'est près de quarante kilomètres qu'il faut parcourir pour y parvenir. Quand on songe aux chemins d'alors, on comprendra qu'il fallait de très bonnes raisons pour s'y rendre !


 Eglise de Gras bâtie en 1652, le mariage eut certainement lieu à Notre Dame du Ranc, 
église aujourd'hui détruite



De bonnes raisons, les Cabassut en avaient. En effet, l'épouse qui lui avait été choisie, appartenait à une bonne famille de Gras, bien connue et bien assise. L'oncle, et ce n'est pas un hasard, était prêtre, et on peut raisonnablement penser qu'il était l’instigateur du projet. Cette famille qui se nommait Delauzun (De Leuzu dans les textes) résidait depuis toujours au mas du même nom, tant et si bien que l'on ne se souvenait plus très bien si c'était la famille qui avait donnée le nom au mas ou vice-versa.



Toujours est-il qu'en cette froide journée du 13 janvier 1560, Jehan Cabassut, accompagné de son beau-père (son père étant décédé depuis quelques années) de Mathieu Roche et de quelques autres aiguezois non nommés, pris le chemin de Gras pour retrouver, si ce n'est sa possible bien-aimée, du moins sa promise. Après avoir traversé la rivière d'Ardèche au « bateau du moulin du port », monté par le chemin des Alliberts, affronté le froid sur la grande plaine de Bidon, d'Aurelles et autres lieux-dits inhospitaliers, les voici enfin arrivés au fameux mas. Là, dans la ferme familiale, entres les murs séculaires qui en avaient vu bien d'autres, les attendaient impatiemment tous les membres de la famille Delauzun, sans oublier les amis et alliés. Une personne essentielle était également présente, quelqu'un qui avait fait spécialement le déplacement depuis le Bourg-St-Andéol pour coucher sur papier toutes les promesses du mariage : Claude Ganhat, notaire de son état. C'est grâce à lui que toute l'histoire qui s'étale sous vos yeux a perduré malgré les siècles écoulés.

Après les salutations et présentations d'usage, et peut-être aussi après une collation bien méritée, tout ce beau monde se trouva réuni dans la salle principale afin de rédiger les clauses du mariage. Ces clauses sont très importantes pour connaître les mœurs d'alors et le niveau social des parties. Thonie Delauzun, car c'est ainsi que se nommait la future, se tenait près de Jehan. On ignore dans quelle mesure ils se connaissaient déjà, très certainement qu'ils s'étaient rencontrés quelques fois, mais aucun écrit ne permet de confirmer l’hypothèse .



Gonnet Delauzun, père de la mariée, et Mathieu Delauzun son oncle, « ayant le présent mariage agréable », énumérèrent les biens composant la dot. Claude Ganhat lu à haute voix ces volontés afin que tous en fussent témoins. Cette fameuse dot la voici :

  • En premier lieu il fut donné à la mariée la somme de 38 livres tournois.
  • Plus « deux robes nuptiaulx drap boutique ».
  • Plus « une robe drap maison ».
  • Plus « une coverte layne bonne et suffisante » (couverture de laine).
  • « Deux linseulz » (draps).
  • « Ung pourchet » (un cochon).
  • « Demy quintal beuf » (environ 25kg viande de bœuf ».
  • « Deux barrals vin pur » (environ 100 litres).
  • « Quatre fèdes garnydes » (quatre brebis pleines).
  • « Une chièvre garnyde » (une chèvre pleine).
  • « Deux cestiers blé froment » (mesure très variable suivant les localités)
  • « Cinq cestiers blé mescle »
  • 5 livres tournois payables sur cinq ans à raison de 20 sous par an à chaque fête de Notre Dame de février.

Thonie dut, en contrepartie, faire la promesse de ne plus jamais rien demander d'autre à ses parents. Du moins c'est la formule de rigueur employée ici. Quant à Jehan Cabassut il fut tenu d'assurer la dite dot sur tous ses biens le cas de restitution advenant. Cette restitution arrivait en cas de décès prématuré de l'épouse, auquel cas ses proches s'empresseraient de l'obtenir par toutes voix de droit (On rencontre de nombreux procès traitant la cause).



La noce eut très certainement lieu le jour même en l'église de Gras, les registres conservés qui auraient pu nous renseigner ne débutant qu'en 1565. Même si les noces d'alors n'avaient pas l'éclat qu'on leur donne aujourd'hui, on peut supposer quelques petites réjouissances dans la cour du mas. On imagine également les pleurs de la mariée et de ses proches qui allaient la voir quitter la maison familiale pour toujours. Les adieux approchaient, Thonie jetterait un dernier regard, la gorge serrée, sur ce paysage si familier qu'elle n'avait jamais quitté et qu'elle ne reverrait probablement plus.



Le retour fut plus contraignant que l'aller. En effet, même si l'on ignore si la dot fut emportée dans sa totalité ce jour là, très certainement qu'une partie de celle-ci fit partie du voyage. Beau tableau que cette petite troupe qu'accompagnent chèvre, moutons, cochon et ânes chargés de mescle, froment et vin pur. Il fallut de très longues heures de marche, au travers ce plateau dénudé, parsemé de quelques cades que pliait un froid mistral, avant, qu'enfin, la tour moyenâgeuse d'Aiguèze se dessinât au loin.

A leur vue, le fermier du bateau de St Martin se frotta les mains, plusieurs allers-retours furent nécessaires pour traverser ce petit monde. Quant à Thonie, elle n'avait jamais vécu pareille aventure, probablement même que c'était la première fois qu'elle voyait la rivière d'Ardèche.



L'entrée dans Aiguèze ne passa pas inaperçu. Nombreux habitants étaient là pour les féliciter, lesquels les accompagnèrent certainement jusqu'à la nouvelle demeure de Thonie. La pauvre mariée se voyant enfermée dans cette mauvaise rue étroite, ombragée et balayée par un vent glacial, ne pouvait que regretter amèrement le mas familial perdu au milieu d'une plaine ensoleillée.

J'aimerais vous dire qu'ils furent heureux, entourés par une ribambelle d'enfants, mais les contes s'écrivent plus facilement qu'ils ne se réalisent. Les documents font malheureusement défaut pour vous conter la suite de l'histoire. Mais, les guerres de religions qui arrivaient à grands pas, la peste qui fit de gros dégâts, sont les deux maux de cette fin de siècle, lesquels firent de grands ravages dans la population aiguezoise. Non, Jehan et Thonie ne furent certainement pas très heureux, mais, on n'en doute pas, très souvent ils devaient repenser à leur rocambolesque traversée de la plaine des Gras, quand le cochon s'écartait de la draille et que les brebis voulaient s'en retourner à la bergerie.



Lou Récataïre

précisons que les Volques sont des populations de culture celtique et ibérique du sud de la Gaule. On distingue les Volques Tectosages situés en Languedoc occidental (à l'ouest du fleuve Hérault), des Volques Arécomiques en Languedoc oriental.

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