jeudi 9 février 2017

1590 ACHAT D'UNE COUPE DE BOIS AU DEVOIS DE GOURNIER par LE RECATAIRE

1590


Achat d'une coupe de bois au Devois de Gournier



On trouve dans les archives de nombreuses ventes de bois concédées à divers particuliers, mais celle-ci est assez particulière par l'époque, le lieu et les protagonistes.

En 1590 nous sommes en plein milieu de la huitième guerre civile qui oppose catholiques et protestants. Ce dernier conflit du 16ème siècle qui dura une dizaine d'année (1585-1595) fut néanmoins entrecoupé de diverses trêves durant lesquelles les affaires reprenaient plus ou moins leurs cours. La dernière trêve en date était du 15 juin 1589, celle-ci signée à Valvignères et appelée justement « Paix de Valvignères », permit aux deux parties de trouver quelques accords. Un renouvellement de trêve fut signée en janvier 1590 à La Voulte. C'est dans ce contexte incertain, où l'on ne savait plus très bien de quoi allait être fait les lendemains, que se situe notre affaire.



Jehan Chambon, acquéreur de la coupe dont il s'agit, résidait à Saint-Martin de la Pierre (aujourd'hui d'Ardèche), bien que possédant quelques lopins de terres, il n'hésitait pas à se lancer dans diverses affaires juteuses. Propriétaire d'une « Baussanne » (très longue barque), Jehan était à même de mener à bien n'importe quelle coupe de bois jusqu'aux confins des gorges de l'Ardèche. C'est ainsi qu'en ce début de l'année 1590, averti que le Devois de Gournier était mis à la vente afin d'en extraire tout le bois, Jehan profita de l'aubaine pour s'en porter acquéreur.




 Vente du "debvois de Gornier" ADA - 2 E 16184 - f°47


Le Devois de Gournier (Gornier dans les anciens textes) était situé entre Saint-Martin d'Arc (aujourd'hui disparu) et Saint-Martin de la Pierre, au milieu même des Gorges. Là se trouvaient un conglomérat de devois appartenant au 16ème, à des particuliers, à des ordres religieux ou à des communautés. Les diverses archives permettent d'en repérer au moins sept regroupés en cet endroit : Les devois de Gornier, de Charmasson (en aval), de Flassade, de Rancurel, de Valaurie, du Chambon et de Ronze. Ces grandes propriétés tirent leurs origines du moyen-âge, époque à laquelle elles appartenaient toutes à la noblesse. Il y eut par la suite des donations en faveur d'ordres religieux et des ventes concédées par une noblesse en quête de numéraires.



Mais revenons à notre devois de Gournier. Sa position était fort incommode, du moins pour son propriétaire, car n'autorisant la vente de bois, et encore plus son transport, qu'aux gens de St Martin. En effet, le meilleur moyen d'évacuer le bois en fond des gorges, et cela au meilleur tarif, était par voie d'eau. En la matière ceux de Saint-Martin et du Borian excellaient !



A la fin du 16ème siècle, le devois de Gournier appartenait à la famille Maucuer de Saint-Remèze. Le fils aîné, nommé Esprit, en était le propriétaire. Esprit s'en était allée exercer le métier de notaire à Bourg-Saint-Andéol et considérait ses biens que comme un apport financier. On peut le supposer très aisé et surtout rude en affaire.



Le 23 mars 1590, Jehan Chambon, Esprit Maucuer et quelques témoins, se retrouvèrent à Bourg en la boutique de Charles Boyssin afin de conclure l'affaire. Charles Boyssin était maître apothicaire mais semblait varier ses compétences afin d'arrondir ses fins de mois... Nul doute d'ailleurs qu'il fut à l'origine des fameux comptes du nom de son état !

La coupe fut vendue au prix de trente-trois écus d'or sol pour une année. Cet écu d'or équivalait à soixante sols pièce, ce qui faisait une grosse somme pour l'époque !

Jehan n'était pas en mesure d'avancer une pareille somme, c'est François De La Font du Bourg qui se porta « plège et principal payeur » de la dite somme. Jehan fut tenu « de le relever indemne dudit plègement et de tout dommages et intérêts ». Il s'agissait donc là d'une entreprise assez risquée, capable de plonger Jehan dans la misère en cas d'échec par une cause quelconque.



Cet acte de vente comporte des mentions intéressantes à analyser, en effet il est un des rares à mentionner le mot « d'yssartayre ». Cet terme désignait celui qui procédait a « l'issartage », c'est à dire au brûlement du sol après une coupe de bois afin d'enrichir pour une année une terre ingrate et permettre ainsi la culture de céréales avant la reprise des taillis. Cette culture de céréales est attestée sur toutes les parties des gorges, même en des endroits qui nous paraissent complètement improbables aujourd'hui !

François Maucuer, frère d'Esprit, fut celui désigné pour faire des issards après la coupe. Celui-ci n'était pas autorisé à brûler les « broundes » restantes ou oubliées mais devait les remettre à l'acheteur de la coupe.



L'acte se termine par la formule alors en vigueur : « ...et pour tout ce dessus garder et observer, lesdites parties l'une envers l'autre ont obligé et hypothéqué tous et chacun leurs biens présent et avenir aux rigueurs des cours ordinaires du Bourg, Saint Remesi et lieu de Saint Martin de la Pierre, ainsi l'ont promis et juré aux Saintes dieu évangiles par chacun d'eux touchée... »



Bien-sur on aimerait connaître la suite, est-ce que Jehan a pu mener son entreprise à bien ? A-t-il pu rembourser son « plège » ? Vendre le bois au meilleur prix ? Autant de questions qui resteront à jamais sans réponses, mais qui, je crois, ne vous empêcheront pas de dormir ce soir sur vos deux oreilles !



Lou Récataïre

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